PERTURBATION DU CYCLE DE L’AZOTE : QUELLES SONT LES MENACES sur notre territoire Lyonnais ?
De quoi parle-t-on ?
L’azote est un composant chimique fondamental de l’équilibre global de la biosphère :
il compose près de 80% de l’atmosphère,
il est une composante des acides aminés (protéines) et des acides nucléiques (ADN, ARN, …)
il constitue un élément essentiel pour la croissance des végétaux.
Sur ce dernier aspect, il présente la particularité de devoir être transformé en nitrate ou en ammonium pour être assimilé par les plantes. Cette transformation s’opère de façon naturelle grâce à des bactéries dites « nitrifiantes » qui sont présentes dans l’eau, le sol et les racines de certaines plantes, notamment les légumineuses.
Lorsque les plantes sont ingérées par des animaux ou des êtres humains, l’azote va traverser la chaîne alimentaire et être à nouveau répandu dans la nature via les déjections urinaires et fécales des différents maillons de cette chaîne, ou à travers les processus de décomposition des organismes végétaux ou animaux. Les résidus d’azote vont à nouveau être transformés :
soit en nitrate et en ammonium à nouveau assimilables par les plantes grâce à l’action d’organismes décomposeurs présents dans le sol,
soit en azote gazeux (diazote ou protoxyde d’azote) grâce à l’action de bactéries dites « dénitrifiantes ».
Le cycle naturel de l’azote
N2 : diazote (azote naturellement présent dans l’atmosphère)
N2O : protoxyde d’azote (faisant partie des gaz à effet de serre)
NH4+ : Ammonium
NO3– : Nitrate
Au cours de la première moitié du XXème siècle, l’homme a inventé des processus de production artificielle, et industrialisée, de nitrate et d’ammonium directement assimilables par les plantes, en s’affranchissant ainsi des processus de transformation naturelle de l’azote. L’efficacité est telle sur le plan agronomique qu’au fil du temps l’agriculture est devenue totalement dépendante de cet engrais. A tel point qu’en Europe par exemple, les apports d’azote fabriqués par l’homme sont cinq fois supérieurs à ce que la nature est capable de produire selon ses propres processus. A l’échelle planétaire, on observe aujourd’hui un doublement de la quantité d’azote dit « réactif » (c’est-à-dire directement assimilable par les plantes sous forme de nitrates et d’ammonium) dans la biosphère.
Le problème tient au fait que la nature n’est pas capable d’assimiler via les végétaux la totalité de ces flux supplémentaires d’azote. En conséquence, nitrates et ammonium envahissent les différentes zones de la biosphère : sous-sols, nappes phréatiques, sources et cours d’eau jusqu’aux littoraux, et créent ainsi des effets néfastes en cascade :
Incidences au niveau planétaire et seuils d’alerte
A forte dose, nitrates et ammonium peuvent devenir des polluants qui affectent l’ensemble du cycle de l’eau mais également l’atmosphère :
ils polluent d’abord les nappes phréatiques au point de rendre potentiellement l’eau impropre à toute consommation ;
ils constituent un facteur aggravant des phénomènes d’eutrophisation (cf. figure ci-dessous) qui asphyxient les écosystème aquatiques, parfois de façon irréversible ;
ils accentuent les processus de relargage dans l’atmosphère de l’azote sous sa forme gazeuse, ce qui pour le cas du protoxyde d’azote est très dommageable, dans la mesure où il est un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement est 300 fois supérieur à celui du CO2.
Qu’est-ce que l’eutrophisation ?
L’eutrophisation est le processus par lequel un plan d’eau vieillit. Il est caractérisé par une augmentation de la productivité du plan d’eau, qui finira par se combler et disparaître. L’eutrophisation est un processus qui, de façon naturelle, s’étale sur des siècles ou des millénaires. Par contre, les activités humaines peuvent augmenter de façon draconienne la vitesse du processus.
Les étapes sont les suivantes :
croissance et multiplication des algues présentes dans l’écosystème
baisse de la luminosité du milieu aquatique, réduction de la photosynthèse et destruction des plantes aquatiques présentes dans ses couches inférieures
décomposition des algues de surface consommant l’oxygène disponible dans l’eau
réduction de la teneur en oxygène et disparition progressive de la faune aquatique
destruction du milieu aquatique
Seuil d’alerte
Pour établir un seuil limite au-delà duquel la situation serait considérée comme critique, les scientifiques ont retenu le risque d’eutrophisation des milieux aquatiques comme point de repère central. La démarche consiste à évaluer la quantité d’azote « réactif » (transformé en nitrate ou en ammonium) que la biosphère est capable d’assimiler sans prendre le risque de détruire les écosystèmes aquatiques.
L’indicateur qui permet de mesurer cette quantité est le Tg N/an : il s’agit du nombre de teragrammes (1 TG = 1 milliard de kg) d’azote inactif disponible dans l’atmosphère qui a été rendu actif par des procédés anthropiques (fabrication des engrais, culture des légumineuses, combustion d’énergie fossile, combustion de la biomasse).
La valeur retenue par les scientifiques comme constituant un seuil d’alerte est de 62 Tg N/an. La valeur actuelle de fixation d’azote par des procédés anthropiques est aujourd’hui estimée au niveau mondial à environ 150 Tg N/an. Les principales formes de fixation de l’azote atmosphérique sont, par ordre d’importance :
La fabrication industrielle d’azote réactif, sous forme essentiellement d’engrais : 80 Tg N/an.
La fixation d’azote par les légumineuses (cultivées par l’homme) : 40 Tg N/an.
La combustion d’énergies fossiles : 20 Tg N/an.
La combustion d’énergies fossiles: 20 Tg N/an
La combustion de la biomasse : 10 Tg N/an.
La production agricole est donc le secteur très majoritairement responsable du déséquilibre du cycle de l’azote avec environ 120 Tg N/an, dont la majeure partie liée aux engrais minéraux.
Nous sommes donc parvenus au niveau planétaire dans une zone de risque accru : le seuil d’alerte fixé par les scientifiques est plus que doublé !
Incidences au niveau local
1. Un maintien global d’une bonne qualité de l’eau…
Qualité de l’eau potable
La Direction de l’eau de la Métropole lyonnaise note en 2018, que les concentrations en nitrate dans l’eau distribuée dans le réseau d’eau potable de la Métropole étaient comprises entre 5 et 28 mg/L, sachant que plus de 80% de la population est alimentée par une eau dont les concentrations sont inférieures à 10 mg/L et 100% de la population est alimentée par une eau dont la concentration est inférieure à la norme de 50 mg/L (norme de potabilisation de l’eau).
Qualité des eaux de pêche
La qualité des eaux de pêche est dégradée sur notre territoire et nécessite une règlementation contraignante, interdisant la consommation ainsi que la commercialisation de certaines espèces de poissons pêchés dans le Grand large et dans le canal de Jonage, du barrage de Jonage jusqu’à l’usine Cusset, ainsi que certaines espèces de poissons pêchés dans la Saône et plus particulièrement en aval du barrage écluse de Dracé jusqu’à la confluence Rhône-Saône, etc.
Qualité des eaux de baignade
La qualité des eaux de baignades peut être impactée par les pollutions et devenir dangereuse, par exemple du fait du développement de bactéries ou d’algues microscopiques potentiellement toxiques. Notre territoire rhônalpin présente une qualité des eaux de baignade classée essentiellement entre « bonne » et « excellente », d’après les relevés datant de 2019 :
Source : https://baignades.sante.gouv.fr/baignades/homeMap.do#a
2. …mais une menace significative sur un grand nombre de communes concernant la pollution des eaux en nitrates
Tous les quatre ans, les DREAL sont chargées de prendre des mesures systématiques des teneurs en nitrate des nappes phréatiques sur l’ensemble du territoire français. Elles élaborent grâce à ces mesures une liste de communes identifiées comme vulnérables quant à la qualité selon le principe suivant :
« Une zone vulnérable est une partie du territoire où la pollution des eaux par le rejet direct ou indirect de nitrates d’origine agricole et d’autres composés azotés susceptibles de se transformer en nitrates, menace à court terme la qualité des milieux aquatiques et plus particulièrement l’alimentation en eau potable. »
Le dernier relevé a eu lieu en 2021. Il fait ressortir la liste suivante de communes en zones vulnérables dans le territoire de Lyon et de son environnement :
On observe une forte concentration de communes concernées le long du couloir rhodanien et, sans surprise, plus particulièrement regroupées autour des différentes agglomérations.
Conclusion
Même s’ils sont beaucoup moins présents dans les médias que le sujet du changement climatique, il est frappant de constater que la pollution des nappes phréatiques aux nitrates et les risques d’eutrophisation ont pourtant globalement largement dépassé le seuil considéré comme « soutenable » par la planète. Ces deux phénomènes font peser à court terme une menace importante sur la pérennité des milieux aquatiques, y compris les littoraux (on n’a pas oublié le phénomène des algues vertes sur les côtes bretonnes ces dernières années).
Cependant, au niveau local, on constate que la situation n’est pas encore critique sur la qualité des eaux potables. Les interdictions de pêche restent circonscrites et les eaux de baignade sont maintenues à un très bon niveau. Il reste que le territoire de Lyon et de ses environs est considéré dans sa totalité comme vulnérable à court terme et qu’il y a une tendance à inverser si l’on ne veut pas menacer la pérennité des écosystèmes aquatiques qu’il héberge.
Sources :
Limites planétaires, Comprendre (et éviter) les menaces environnementales de l’anthropocène, Aurélien BOUTAUD & Natacha GONDRAN, Veille Prospective DPDP, Grand Lyon La Métropole, Mai 2019 – https://www.millenaire3.com/ressources/Limites-planetaires
Cycles biogéochimiques – Cycle de l’azote, Jonathan DUMAS, https://www.youtube.com/watch?v=Qqxhmwy84tM
https://ecotoxicologie.fr/eutrophisation-milieux-aquatiques
https://www.memphremagog.org/fr/eutrophisation
https://www.eaufrance.fr/lalimentation-en-eau-potable
https://baignades.sante.gouv.fr/baignades/homeMap.do#a
http://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/20210908cartezvn2021.pdf